Pour une large autonomie de la Kabylie

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Kabylie
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CONTRIBUTION DAHMEN AI ALI (Tamurt) – Aux premiers, je dirais que cette Algérie en laquelle ils croient, elle, ne croit pas en eux. Elle n’investira en eux que le jour où ils deviendraient des Arabes affermis par l’école, la mosquée, les médias, la rue… Aux seconds qui piaffent d’impatience de voir une Kabylie totalement indépendante de l’Algérie, le récent épisode d’un vulgaire match de football contre l’Égypte devrait leur ouvrir les yeux sur l’énorme distance qui les sépare de leur société où cet événement a provoqué un énorme brouillage de repères identitaires chez les Kabyles. Bref, aux uns et aux autres je dirais qu’on ne peut pas aller plus lentement ou plus vite que la musique. Il faut adapter la cadence à la mesure

Comme l’écrasante majorité de ces deux extrêmes est du côté de ceux qui tiennent à diluer la Kabylie au sein de l’État-Nation algérien en construction, c’est à eux, prioritairement que je voudrais parler de la nécessité de l’aménagement sociopolitique concret de l’espace kabyle en vue de la réalisation effective sur le terrain du Projet pour l’autonomie de la Kabylie (PAK), adopté officiellement le 14 août 2007 par le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK).

Rappels :

Comme vous, j’étais et je demeure un inconditionnel fervent militant pour l’instauration d’une démocratie citoyenne majeure dans le cadre algérien ; Comme vous, dès mon jeune âge, j’ai entamé en tant que lycéen mon combat politique initiatique (revendication identitaire) dans le cadre du Mouvement culturel berbère (MCB) dès avril 1980 ;

Comme vous, durant ces trente années de lutte, j’ai caressé le fol espoir que nous puissions parvenir un jour à réconcilier pleinement le citoyen algérien avec son identité authentique dont il fut spolié des siècles durant et lui restituer enfin sa dignité citoyenne dans le cadre d’une démocratie politique plurielle véritable ;

Comme vous, j’avais rejoint les rangs d’un parti politique, nouvellement agrée par la constitution de 1989, se revendiquant résolument du projet social démocratique et laïc ;

Comme vous, j’ai soutenu, accompagné et encadré le boycott scolaire 1994/1995 sous l’égide du Mouvement culturel berbère ;

Comme vous, je fus atterré par la sauvagerie de nos adversaires politiques en procédant à l’élimination physique du chanteur Lounès MATOUB, le 25 juin 1998 (porte-drapeau de l’Amazighité et figure de proue d’une Kabylie qui refuse la soumission), victime d’une lâche conspiration du pouvoir central ;

Comme vous, j’ai soutenu puis adhéré spontanément à l’historique mobilisation citoyenne kabyle ayant culminé avec la plus grande marche, jamais organisée en Algérie, celle 14 juin 2001. Elle était l’œuvre du Mouvement Citoyen des Archs, né après l’odieux et inqualifiable massacre des meilleurs jeunes de Kabylie, au printemps noir 2001. Le pouvoir venait de montrer, à la face du monde entier, son vrai visage, hideux et barbare. Pourtant, comme vous, durant toutes ces années, je n’ai jamais cessé de cultiver, de défendre et d’affermir de plus belle mon attachement indéfectible à mon pays, l’Algérie ;

Comme vous, j’ai dans un premier temps accueilli avec beaucoup de circonspection cette nouvelle idée d’Autonomie de la Kabylie, dès sa première formulation, en juin 2001. Comme vous, je l’ai désapprouvée tout à fait au début, je l’ai même réprouvée politiquement non sans m’être surpris bien des fois à cultiver une insondable méfiance, voire même des suspicions irrationnelles envers ses pionniers, pour des raisons qui me paraissaient à l’époque reposer sur des « principes sacrés ». Mes griefs n’étaient pourtant fondés que sur des préjugés monumentaux, ma méprise de la réalité et surtout ma profonde aliénation, jusque-là insoupçonnée : un attachement irrationnel à des concepts pernicieux inoculés par le jacobinisme de l’État central uniciste algérien : « Un seul état, une seule nation, un seul peuple, une seule langue, une seule religion, une seule identité, une seule direction politique, un choix irréversible… ». Fort heureusement, ma lucidité renonçait peu à peu à continuer de me trahir. Peut-être, tout aussi bien comme vous, vous qui lisez ces lignes.

Voici alors quelques éléments sur lesquels s’est articulé mon raisonnement sur lequel j’ai veillé scrupuleusement à ce qu’il soit imprégné d’un minimum de rigueur. J’ai tenté de les développer sur ces quelques pages selon une méthode discursive interactive et réflective afin de tenter d’impliquer intentionnellement la réactivité du lecteur (de l’internaute) ou, à tout le moins, de stimuler en lui une réflexion toute personnelle sur ce sujet. Cela lui permettra, du moins je l’espère, de se déterminer à son tour sereinement et dans la clarté d’esprit. Pour ce faire, mon exposé est présenté en deux parties :

Dans un premier temps, je m’emploie à mettre en exergue la seule alternative politique viable qui s’impose de fait aujourd’hui à la Kabylie : le combat politique pour l’autonomie de la Kabylie. Dans la seconde partie, sans doute la plus intéressante, après étude et analyse d’une multitude de propositions et de contributions relatives à cette optique autonomiste (notamment celles publiées sur tous les sites web kabyles), je développe, en les énumérant une à une, un certain nombre d’actions et de mesures concrètes qui pourraient être immédiatement mises en œuvre sur le terrain afin de nous préparer efficacement à cet objectif historique. En effet, nous considérons que l’Autonomie de la Kabylie, ne se demande pas, ne se revendique pas, tout comme elle ne se décrète pas par un simple texte de loi : ELLE S’IMPOSE DE FAIT SUR LE TERRAIN. Il nous revient à nous de mettre le pouvoir central devant une réalité concrète, un fait qu’il ne pourrait raisonnablement contester. Nous ne devons alors lui laisser aucune autre alternative que d’entériner cette nouvelle réalité nationale kabyle qui ne manquera pas d’avoir un impact concret autant sur les mentalités que sur tous les aspects de la vie de la Nation kabyle.

Comme le dit si bien l’adage des prévoyants : « Demain, c’est déjà aujourd’hui ! » ! Nous devons réfléchir dès maintenant à la mise en place de tous les cadres et mécanismes devant structurer à terme les institutions politico-administratives du futur ÉTAT RÉGIONAL KABYLE, et ce, dans les meilleurs délais, de telle sorte que le référendum d’autodétermination du peuple kabyle ne soit pour nous qu’UNE SIMPLE FORMALITÉ JURIDIQUE.

Première partie

L’Autonomie, seule alternative viable du combat politique de la Kabylie

1. L’État-Nation ou la stratégie politique de décimation des cultures autochtones

Ainsi, il se trouve que je n’avais à aucun moment réussi à me donner le temps suffisant pour effectuer sereinement une analyse critique, lucide et objective de cette lumineuse proposition de l’autonomie de la Kabylie avant de me prononcer en conséquence. Car, je n’avais jamais pris le recul nécessaire pour la considérer des points de vue historique, sociologique et politique dans toute leur rigueur.

Bref, comme vous, je me suis invariablement prononcé par un conditionnement quasi pavlovien voire par zèle irrationnel contre une telle proposition que je considérais comme déconcertante, dans le meilleur des cas, anachronique sinon carrément absurde. Brouillon, approximatif, expéditif, je le fus moi aussi ! Cependant, petit à petit, je me rendais compte que j’étais piégé par un substrat conceptuel profondément « ingurgité » et tout à fait arbitraire. C’est celui de « l’État-nation en construction », dérivant de l’adoption de la pensée jacobine, héritée de l’ex-puissance coloniale. Il est depuis 1962 le soubassement conceptuel et doctrinal de l’État algérien. C’est à partir de ce faux postulat de base que je tentais inefficacement de me déterminer face à cette audacieuse alternative. Ce faisant, je réalisais subrepticement que je demeurais toujours aliéné par un lourd fardeau, en partie hérité de nos ainés, et surtout par des réflexes psychologiques et une mentalité saturée de conventions d’origine coloniale desquelles ma pensée n’avait pu se libérer totalement. Je suis encore tout confus de me découvrir à ce point aliéné. Mais, en persévérant honnêtement dans ma studieuse réflexion, car vouant toujours le même amour charnel à ma patrie et mon peuple kabyles, le même attachement totalement désintéressé, je découvrais l’extrême fragilité et l’inconsistance de mon argumentaire, et du coup, je me sentis paradoxalement devenir un Kabyle, d’origine amazighe, encore plus libre que je ne croyais l’être ! En osant soumettre à l’analyse objective le concept même d’État-Nation et son pendant, le jacobinisme doctrinal de l’État central, toutes les apparentes apories s’effilochaient une à une comme les frêles flocons de neige fondant aux premiers rayons du soleil printanier ! Que pouvais-je sauver de consistant de cette imposture conceptuelle d’« État-Nation en construction » ? Rien d’autre qu’un mauvais souvenir, désormais évanescent, une vision de l’esprit parfaitement illusoire et sans aucune portée sur le vécu réel du peuple kabyle. Aujourd’hui, il ne me reste plus que cette lancinante question de savoir comment construire un avenir à mes enfants de manière pragmatique, en rapport avec cet ensemble algérien auquel je continue toujours de revendiquer fermement mon appartenance et que, raisonnablement, nul ne peut me contester. Voici donc le cheminement discursif de mon raisonnement.

1.1. Les Kabyles et le concept d’État-Nation

Au terme de cette profonde réflexion, je réalisai en fait que nous les Kabyles, nous sommes parmi les Algériens les plus fortement aliénés par ce concept d’État-Nation et les plus fervents défenseurs « pavloviens » de cette pensée jacobine d’essence foncièrement colonialiste. Nous sommes ainsi pris dans notre propre piège : nous nous découvrons partagés entre le désir de reconnaissance de notre spécificité nationalitaire kabyle par l’État algérien, d’une part, et notre irrationnel désir d’adhésion à un nationalisme mythique, un algérianisme outrancier, univoque et uniforme, façonné cependant selon nos propres repères, nos propres valeurs socioculturelles et notre propre conception politique de l’État ! Or, celui qui donne du contenu aux mots et du sens aux identités est celui qui détient le pouvoir qui nous est hostile. Où est alors la cohérence dialectique dans cette démarche pour le moins inconsistante ? Où est, chez nos adversaires, le respect dû à l’Autre, cette vertu cardinale que nous valorisons tant, en tant que Kabyles ? Où est chez les Algériens avec lesquels nous pensons devoir partager le même destin de citoyenneté, le scrupule du respect inconditionnel des différences culturelles et des valeurs qu’assument librement d’autres groupes et d’autres communautés humaines ? Que faire alors ? Doit-on continuer de réprimer implacablement nos pulsions identitaires et nos aspirations nationalitaires légitimes ? Doit-on, à ce prix, continuer à se complaire dans la vaste entreprise de dépersonnalisation mise en branle par le pouvoir et devoir accepter d’être déchus de notre dignité humaine comme au temps de la colonisation ? À quoi auront servi alors les innombrables et héroïques luttes multiséculaires de nos ancêtres acharnés contre les envahisseurs successifs de l’Afrique du Nord et celles de nos ainés contre le colonisateur français, ou encore celles plus récentes, de 1963 à ce jour ? Doit-on répudier froidement notre héritage identitaire multimillénaire sur l’autel et au nom d’une uniformité algérianiste, forcément réductrice ? Au nom d’un supranationalisme hégémonique, douteux et hypothétique qui, au bout de bientôt un quart de siècle, n’a même pas pu tenir la promesse de nous réconcilier avec nous-mêmes, allons-nous répudier notre dignité citoyenne et la plénitude de notre personnalité authentique ? Ce sont là des questions auxquelles tout Kabyle soucieux de préserver sa personnalité, sa langue, son identité et son héritage culturel ancestral pour sa descendance est mis en demeure de répondre.

1.2. Nécessité de répudier le jacobinisme de l’État algérien

Pour ma part, il devient désormais clair que le centralisme uniciste de l’État algérien est un avatar de l’époque coloniale dont il faut se débarrasser au plus vite. C’est aujourd’hui une nécessité vitale, absolue. Et c’est précisément l’un des objectifs doctrinaux que vise le combat politique que mène actuellement le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie au sein d’une Algérie qu’il souhaiterait résolument plurielle. En effet, de par sa nature, le jacobinisme ne pourra jamais s’adapter à la mosaïque des peuples et des cultures qui emplissent nos terres nord-africaines, qui constituent l’ancienne colonie française, incidemment baptisée « Algérie ». Celle-ci en a gardé, après la libération, la même dénomination que lui voulurent ses ex-Maîtres. Il s’en fallut de peu qu’elle gardât les mêmes sceaux de souveraineté de tous points de vue : structure ethnologique, anthropologique, sociologique, linguistique, politique et historique de l’ensemble nord-africain (Tamazgha). La libération totale et effective de cet ensemble algérien aurait dû devenir réalité immédiatement après le départ des Colons et restituer à l’ensemble de ses habitants autochtones, leur dignité humaine dont ils furent spoliés durant plus d’un siècle. Il aurait fallu également les réhabiliter dans leur personnalité identitaire, culturelle et politique en leur conférant pleine jouissance d’un digne statut de citoyen. Force est de constater que tel n’a malheureusement pas été le cas. Bien au contraire, les pseudocitoyens algériens, y compris leurs plus hauts responsables politiques du pays, croyant s’être libérés du joug colonial, portent jusqu’à ce jour, bien inscrits sur leurs documents d’identité, des patronymes aussi fantaisistes que méprisants que les sinistres Bureaux Arabes coloniaux leur avaient, non sans arrogante moquerie d’ailleurs, arbitrairement assignés. Ces pseudocitoyens de l’Algérie « indépendante », totalement dépersonnalisés se retrouvent dans un pays censé être le leur, mais sans jouir de leur véritable identité, ni même des droits fondamentaux dont disposent tous les hommes libres de ce monde : les libertés individuelles, liberté de pensée, d’expression, de confession, d’association, de création artistique, de circulation, et surtout de choisir et d’élire souverainement leurs représentants et leurs responsables politiques. Ceux qui s’étaient emparés du pouvoir par trahison, alors que le peuple n’avait pas encore fini de défiler avec ses drapeaux dans les rues d’Algérie pour fêter sa soi-disant victoire, se sont substitués par des crimes de sang à l’ex-puissance coloniale. Ainsi, tout ce jargon des droits de l’Homme et leurs pendants, les libertés fondamentales, nobles attributs et synonymes de dignité humaine entière, n’est malheureusement devenu pour les pseudo- citoyens d’Algérie que littérature creuse.

Quand réalisera-t-on, enfin, que l’ensemble algérien ne pourra jamais être viable avec une organisation jacobine de l’État ? Quand est-ce que les Algériens réaliseront-ils que le jacobinisme est tout à fait incompatible, voire incohérent avec les réalités sociologiques, culturelles et linguistiques des peuples qui composent l’Algérie ? Refuser d’en prendre acte c’est donc assumer le fait de commettre le crime de décimer des communautés humaines entières, aux réalités culturelles bien spécifiques. Le centralisme étatique n’est d’ailleurs qu’un schéma d’organisation politico-administrative destiné à les opprimer pour les dépersonnaliser jusqu’à leur totale extinction, le centralisme jacobin est un procédé « moderne », ou « civilisé » des génocides culturels. À peu près, comme ceux qui veulent appliquer la charia et qui sont partisans de l’anesthésie pour amputer la main du voleur. De fait, le jacobinisme est une politique d’oppression, de dépersonnalisation et d’acculturation, une relique du colonialisme. Il constitue de ce fait un facteur d’agression permanent, endémique à l’encontre du peuple kabyle. À ce titre, son destin est d’être résolument combattu par des moyens politiques adéquats. Ainsi, nous le voyons, pour prémunir notre identité culturelle contre ce processus d’extermination qui ne dit pas son nom, pour sauvegarder notre dignité citoyenne pleine et totale, nous n’avons aucune autre alternative que de répudier le jacobinisme de l’État algérien tout comme cela a été conséquemment fait pour son géniteur, le colonialisme.

1.3. Affirmation du nationalisme kabyle

Si bien qu’aujourd’hui, il y a un fait que nul ne peut honnêtement feindre d’ignorer encore moins de nier : En Algérie, il n’y a pas une seule nation, pas plus qu’il n’y a qu’un seul peuple. Il est vrai cependant que pour des raisons stratégiques, les vicissitudes de l’histoire ont parfois amené ses diverses composantes à agir momentanément ensemble, à contracter des alliances conjoncturelles plus ou moins longues. Organiser la résistance dans des rangs unitaires pour combattre quelque envahisseur ou ennemi commun, poursuivre ensemble des objectifs ponctuels a été un fait récurrent de l’Histoire de l’Afrique du Nord. Cependant, il serait erroné d’admettre que les 7 années et demie de guerre contre l’ex-puissance coloniale française aient été suffisantes pour effacer et gommer toutes les spécificités identitaires et culturelles propres à chacune de ces entités que l’Histoire a mis plus de deux mille ans à façonner ! Cela relève d’un mythe, c’est une aliénation profonde que de le penser. Du au brassage multiséculaire d’une multitude de groupes de peuples venus de diverses longitudes et latitudes du globe tout au long de l’histoire multimillénaire nord-africaine, il en résulte plusieurs entités sociologiques, communautés et nations, chacune unie soit par une même langue, soit un même rite religieux, une même histoire régionale, ou tous ces éléments combinés. Tel est le cas du peuple kabyle précisément, qui a ainsi gardé une très forte spécificité historique et identitaire. Durant plus de deux millénaires, le peuple kabyle a résisté successivement aux Romains, aux Byzantins, aux Arabes, aux nombreuses dynasties musulmanes y compris à celles nées chez lui comme la Fatimide, aux Espagnoles, aux Turcs et aux Français jusqu’à 1871. Son destin aujourd’hui est de restaurer son autorité ancestrale sur son territoire. Malgré le brassage ininterrompu avec d’autres cultures, d’autres civilisations, l’usure du temps et les bouleversements politiques qu’il a connus à travers les siècles n’ont pu réussir à anéantir l’esprit unitaire, nationalitaire et de liberté chez chacun de ses habitants. Aujourd’hui, le nationalisme kabyle longtemps demeuré latent, sans cesse refoulé par ceux qui ont profondément intériorisé ce concept aliénant et létal d’État-nation, semble s’affermir au sein même de la jeunesse. Cependant, pour en parler, beaucoup d’intellectuels kabyles, souvent frileux ou soucieux de préserver un obséquieux conformisme, préfèrent plutôt user de l’ubuesque euphémisme « particularisme kabyle », non sans connotation péjorative d’ailleurs, là où, par honnêteté intellectuelle, par rigueur morale, ils devraient le désigner tout simplement par son nom. C’est là même une preuve supplémentaire, s’il en fallait, de leur degré d’aliénation. Par le passé, il y a un peu moins d’un siècle maintenant, nos ainés avaient une maturité et un réalisme qui faisaient de la fin du colonialisme leur obsession et leur priorité absolue. Cela avait restreint leur champ de vision qui se retrouva amputé de leurs intérêts et de l’avenir des générations qui allaient vivre dans une Algérie indépendante. Nous ne pouvons que saluer leurs sacrifices et leur générosité, et ce, en dépit de tout ce qui en a découlé comme conséquences dont nous pâtissons encore et ce temps perdu !

2. Le problème identitaire en Algérie, analyse critique : quelle solution ?

2.1. Mettre un terme à un anachronisme historique

C’est désormais un anachronisme historique. Depuis la naissance du mouvement national (1926), nous tentons d’intégrer la dimension amazighe à la diversité algérienne, que ce soit dans les résolutions et statuts des partis nationalistes ou dans le corps doctrinal des textes fondamentaux de l’Algérie postindépendance. Ce faisant, nous nous montrions toujours les défenseurs zélés du concept de l’État-Nation. Plus opiniâtre et plus contradictoire que nous tu meurs ! À travers notre combat politique autant résolu que généreux, nous espérions parvenir un jour à démocratiser le pays, sans nous soucier à aucun moment si notre objectif était ou non partagé par les autres peuples et les autres régions de ce si vaste pays commun ! Ce fut une incohérence, voire une erreur monumentale ! Il est toujours malsain d’imposer ses valeurs à l’autre, on les assume soi-même ; il est toujours déplacé de prendre ses désirs et ses revendications pour ceux des autres y compris lorsque la différence n’est pas conçue comme un danger, mais plutôt comme une richesse à partager. Ainsi, pour résoudre le problème des langues, nous demandions résolument que tamazight soit la langue de tous les Algériens, sans nous soucier pour autant si ces derniers partageaient cette aspiration. On se retrouve malgré nous dans une posture d’oppresseurs, une attitude similaire à celle du pouvoir qui impose l’arabe à tous les Algériens, et que nous sommes censés pourtant combattre ! L’autre illustration de nos chroniques inconsistances est la revendication du triptyque identitaire, politiquement formulé par nous-mêmes, les Kabyles, et fait d’un montage identitaire de compromis à travers lequel nous tentions de faire une place à notre « composante amazighe ». Ce bricolage identitaire était dès le départ voué à l’échec pour au moins deux raisons. La première est que, nous-mêmes, nous n’avons jamais été prêts à assumer l’arabité, voire même l’islamité pour certains d’entre nous, comme un élément constitutif de notre identité. La deuxième fait que notre kabylité était sacrifiée sur l’autel du générique qu’on appelle « amazighité » ! Comment fut-ce possible ?

2.2. Redéfinition pragmatique de l’identité kabyle dans le cadre autonomiste.

Il est difficile pour les Algériens et en particulier nous les Kabyles de concevoir que nous puissions dans un même État-Nation cohabiter avec d’autres peuples quand rien ne nous unit, quand nos identités respectives nous opposent. Il apparaît donc clairement que la seule solution envisageable pour cette problématique réside simplement dans le rétablissement du peuple kabyle dans sa spécificité identitaire propre à lui : Taqbaylit (intraduisible en français) en laissant toute la latitude aux autres citoyens algériens de se définir eux-mêmes comme ils l’entendent. Soulignons ici que le seul élément Taqbaylit renvoie, dans la langue kabyle, à un syllogisme identitaire complet. En effet, à lui seul, il englobe toutes les spécificités identitaires kabyles. On lui rattache à la fois :

1 – la langue kabyle

2 – l’ensemble des valeurs sociales et code d’honneur kabyles, traduit quelquefois par « kabylité »

3 – la femme kabyle (matrice génitrice fertile, féconde et gardienne de ses valeurs ancestrales)

4 – et enfin, le pays (Tamurt), la KABYLIE, comme le chantait entre autres, feu MATOUB Lounès dans « W’akka i m-d-yessawlen », album édité en 1980 :

Kker a Taqbaylit Sbedd lqedd-im
Zig macci d targit Iban-ed yisem-im, ……
Ssendjaq Zi yuli deg igenni ad yettrefrif.
Xas isah yezri newwi-t-id s nnif ……
W’akka i m-d-yessawlen d arraw-im ay-en

Tous les Kabyles authentiques se reconnaissent aujourd’hui dans ce quadruple élément identitaire TAQBAYLIT, ci-dessus énumérés.

Pour résoudre donc la lancinante problématique identitaire qui a divisé les citoyens algériens, nous arrivons maintenant à la nécessaire définition de notre identité kabyle. Nous devons impérativement fournir un autre effort substantiel de formulation lucide, en termes clairs et concis, de ce qui devrait constituer le fondement doctrinal de l’identité du futur État régional kabyle. Pour l’heure, le consensus qui semble se dégager au sein même de la société kabyle, en attendant d’en peaufiner sa formulation, semble être le suivant :

L’État régional Kabyle devrait être doctrinalement fondé sur des valeurs ancestrales positives communes dans lesquelles l’ensemble du peuple kabyle se reconnaît unanimement et est déterminé à en sauvegarder la pérennité, à promouvoir et à transmettre intégralement aux générations futures comme patrimoine civilisationnel ancestral séculier et complet.

L’ÉTAT RÉGIONAL KABYLE en aucun cas ne serait fondé sur une affiliation exclusivement ethnique archaïque et surannée. Il est une conception civilisationnelle, moderne, formulée sur la base d’un droit positif pour servir d’INSTRUMENT JURIDIQUE à l’affirmation de l’existence physique dans l’Histoire contemporaine et l’émancipation de la NATION KABYLE séculière et toujours vivante, car dotée d’une conscience collective, socioculturelle, historique et identitaire très forte depuis plus de deux millénaires. L’appartenance à la nation kabyle apparaîtrait alors comme la souveraine et solennelle adhésion à son idéal de pérennité nationale : par conséquent est considéré Kabyle quiconque détient la NATIONALITÉ KABYLE. Celle-ci est un attribut positif que pourrait revendiquer toute personne justifiant du principal et unique critère suivant :

— Il est né et a grandi ou vit en milieu kabyle, qu’il soit restreint (famille) ou large (société). En outre, il assume solennellement et s’engage activement à perpétuer et à défendre la pérennité des valeurs et du patrimoine identitaire de la nation kabyle (territoire, langue, culture, valeurs, civilisation) et à contribuer avec conviction à l’édification de son instrument juridique d’émancipation civilisationnelle : l’ÉTAT RÉGIONAL KABYLE.

Nous pouvons donc souligner qu’à partir de cette formulation positive il devient clair que nous devons opposer à nos détracteurs que l’appartenance à l’État régional kabyle n’est point fondé sur une filiation, une ascendance ethnique ou quelque filiation par des liens de sang, car l’ÉTAT RÉGIONAL KABYLE en aucun cas ne serait une reproduction d’un ÉTAT-NATION archaïque condamné par l’Histoire, encore moins fondé sur une base ethnique barbaresque, archaïque, sectaire, autarcique et refermé sur lui-même en vase clos ! C’est l’exact contraire de tous ces amalgames incongrus : C’est une institution rationnelle, moderne, ouverte sur le monde et accueillante dont l’appartenance à celle-ci est fondée exclusivement sur l’adhésion souveraine et convaincue à des VALEURS, des concepts totalement positifs et, par voie de conséquence, l’État Régional Kabyle dont nous avons le devoir de nous préparer à jeter les bases fondatrices sera appelé certainement à se développer en fulgurance, à progresser et à se fortifier très rapidement au fil des siècles futurs.

3. Unité territoriale et unité historique de la Kabylie

3.1. Unité territoriale de la Kabylie

Au début du 20e siècle, Boulifa décrivait le territoire de la Kabylie en ces termes [1]. Du point de vue géographique déjà, la chaine du Djurdjura, décrivant un arc de cercle, partant de Cap Djinet près du col de Tizi n’At Aicha (Thenia) à l’Ouest jusqu’au piton Yemma Gouraya qui domine Bgayet à l’Est constitue un rempart hermétique isolant la Kabylie du reste de l’Algérie en lui conférant une certaine unité territoriale. Par ailleurs, dotée d’un système de ramifications continues et régulières, celui-ci a de tout temps protégé, le pays et ses habitants Iqvayliyen (Izwawen, Kabyles), sédentaires depuis au moins deux millénaires, contre toutes les incursions possibles du dehors. Du côté du Nord, une série de chainons parallèles au littoral complète cette protection ; quoique d’une altitude moins élevée que la chaine-mère, leur masse, également peu accessible, se présente comme une muraille, un rempart qui s’oppose aux moindres tentatives d’empiètements extérieurs aussi bien des hommes que des éléments. Cette configuration géographique confère donc l’unité territoriale à la Kabylie. Tout au long de l’histoire, la Kabylie se fut toujours présentée comme une ile inabordable, une région qui restera longtemps fermée à la curiosité et aux convoitises de l’étranger ou du conquérant. Ainsi protégés par leurs montagnes, auxquelles ils s’attachent intensément, les habitants de ces hautes régions eurent la bonne fortune de se prémunir et de préserver leurs caractères identitaires spécifiques du joug et de la corruption multiforme de l’étranger pendant de longs siècles.

3.2. Unité historique de la Kabylie

La Kabylie, jalouse sans doute de son identité, de sa liberté, de ses intérêts et de son indépendance, résistant à toute pénétration extérieure d’allure même pacifique, vécut libre durant sa longue histoire, échappant aux agressions, à la violence et la domination des divers conquérants de l’Afrique du Nord jusqu’à cette fatidique année 1871, date où elle fut déchue de sa souveraineté. La Kabylie, défaite en 1871, vit jusqu’à nos jours sous humiliation. Ses habitants furent systématiquement expropriés de leurs terres et déchus de leur personnalité, leur identité et leur honneur flétris, notamment en 1895 ; ses notabilités et ses responsables politico-religieux furent sommairement et physiquement éliminés. Certains furent contraints à l’exil forcé ou carrément déportés outre-mer (Nouvelle-Calédonie). La langue kabyle fut progressivement persécutée (jusqu’à être interdite dans l’enceinte des premières écoles), les spécificités socioculturelles du peuple kabyle et ses institutions villageoises furent petit à petit mises de côté. Leurs constitutions ne furent plus reconnues. Pour coiffer le tout, la Kabylie, bien que s’étant montrée toujours solidaire de l’ensemble algérien, demeurait depuis cette date toujours marginalisée et méprisée politiquement par tous les pouvoirs centraux qui se furent établis à Alger, que ce soit sous le régime colonial ou après « l’indépendance ». Nous n’avons vécu, depuis, que sous des pouvoirs spoliateurs de la souveraineté populaire.

Par ailleurs, c’est à peu près, à partir de cette année 1871 qu’il convient de dater l’irruption du phénomène d’émigration au sein de la société kabyle. Ses habitants, faute de collaborer avec le pouvoir central, furent en effet contraints de s’expatrier de la Kabylie, fuyant la répression et les mesures coercitives avilissantes de l’occupant. Ils ont migré vers des horizons plus cléments en se disséminant en diasporas un peu partout à travers plusieurs régions d’Algérie ou de l’Afrique du Nord d’une façon générale, et même outre-mer. En somme, ce furent des conséquences désastreuses inéluctables qui sanctionnent toujours toute perte tragique de souveraineté politico-territoriale par un peuple aimant la liberté. En effet, pour revenir à son histoire, il faut sans doute bien souligner que les trois siècles de la domination turque en Algérie ne parvinrent nullement à ébranler l’indépendance des Kabyles. À l’instar de leurs ancêtres, ceux-ci ont su résister à l’envahisseur en défendant leurs libertés, en protégeant leur culture, leur langue, leurs traditions et leur cohésion contre toute ingérence étrangère. Si certaines tribus de la basse Kabylie ont subi l’influence politique des conquérants turcs, sous prétexte de l’Islam, en revanche aucune d’elles n’a définitivement accepté leur loi et encore moins adopté leur langue, leur rite religieux ou leurs coutumes.

Voici ce que nous encourrons en confiant aveuglément notre précieuse souveraineté à un pouvoir central corrompu jusqu’aux os, comme ce fut le cas jadis, à l’époque de la Régence d’Alger, avec le pouvoir corrompu de l’Odjak. En effet, devrait-on rappeler qu’une fois l’ennemi français débarqué sur nos rivages, l’armée des Janissaires et des yoldaches se fut si promptement volatilisée et ce fut aux farouches et valeureux Izwawen (Kabyles) qu’on fit appel pour faire face aux bataillons de l’ennemi bien armé et très bien entrainé à la bataille qu’il avait méthodiquement préparée ! En effet, le 14 juin 1830, au matin, le maréchal De Bourmont débarqua à Sidi Fredj avec pas moins de 40 000 hommes. Le 19 juin, lors de l’unique bataille de Staoueli, les troupes françaises prennent l’avantage sur l’armée des Kabyles. Cette défaite des Kabyles ne fut possible qu’à cause de l’absence de logistique que le Dey ne leur avait pas assurée en cette contrée étrangère pour eux. Pire, les combattants kabyles se retrouvent pris entre deux feux ! Le Dey avait en effet promis une forte récompense pour toute tête de Roumi tué, et ce sont des Kabyles, au faciès européen, que les hordes des Janissaires se mirent à tuer pour encaisser les primes promises par la Régence turque d’Alger.

Le 5 juillet, les troupes françaises occupent Alger et, le jour même, le Dey Hussein signe l’acte de capitulation, non sans ménager ses intérêts bassement personnels. Il s’était assuré de conserver ses biens personnels ainsi que son droit à l’exil vers le lieu de son choix. Les caisses de ce qui reste comme État seront bien entendu pillées et il quitte définitivement, sans le moindre remord, le pays avec sa famille à bord d’un navire français à destination d’un port italien. Le 11 juillet 1830, 2 500 janissaires d’Alger sont expulsés pour l’Asie Mineure. Ainsi, nous le voyons, après 313 années, sans la moindre peine, les Turcs abandonnent cette « Algérie », qui ne fut jamais leur patrie, pourtant un pays qu’ils ont gouverné depuis plus de trois longs siècles !!! Le souvenir du désastre de cette tragédie, notamment de la malheureuse défaite de Staoueli du 19 juin 1830 est encore vivace dans la mémoire kabyle. Elle fut l’unique bataille à laquelle furent confrontés les soldats français et elle fut livrée par les braves Zouaves (Izwawen, kabyle) avant la chute d’Alger et la capitulation du Dey Hussein le jour même ! Pris au dépourvu et cueillis à court d’armes et de munitions, aux portes d’Alger en juillet 1830 ils durent laisser sur le carreau des milliers de morts [2]. Ainsi, au moment où la hideuse occupation coloniale française progressait et s’étendait sur tous les territoires abandonnés par les indus occupants ottomans, et par la faute de ce pouvoir turc corrompu et traître, la Kabylie fut prise au dépourvu. Elle n’avait pas encore réussi à trouver un moment de répit et de paix pour se consacrer à l’édification institutionnelle de son État. Ce fut ensuite l’inéluctable bataille d’Icherriden au printemps 1857 qui consacra la supériorité militaire française sur la Kabylie et le prix que les Kabyles durent payer, à cause de leur absurde imprévoyance politique, fut exorbitant. À la longue, la Kabylie cesserait un jour d’exister en tant qu’entité nationalitaire séculière !

4. Le fait religieux et la laïcité en Kabylie face au péril de l’islamisme politique

4.1. Le fait religieux en Kabylie

Commençons cette analyse par l’invocation des faits saillants de l’histoire de la Kabylie. Les confédérations villageoises kabyles, d’essence foncièrement républicaine étaient si bien assises sur un fondement social autonome des plus solides qu’elles étaient satisfaites de leur mode de fonctionnement selon une organisation sociopolitique propre à elles et librement consolidée par la pratique et l’usage au fil des siècles. Ni la famille, ni la cité ne voulurent prêter l’oreille à toutes sortes d’innovations que les puissances dominantes successives ne cessaient de leur proposer d’adopter, car celles-ci furent perçues comme étant dangereuses, susceptibles d’ébranler et de porter atteinte à cet équilibre séculier, devenu naturel pour la société kabyle. Ainsi, sur le plan religieux, la Kabylie avait fini par avoir un islam spécifique majoritaire, adapté à sa conception de la spiritualité et de la temporalité. On l’appelle d’ailleurs l’islam kabyle. Il est aujourd’hui la cible de divers prosélytismes religieux auxquels la Kabylie a toujours opposé une résistance très vive tout le long de son histoire. Nous devons rappeler un fait indéniable sur lequel se fonde notre propos. En effet, il est notoirement connu que sur le plan juridique, les seules lois d’essence islamique qui furent admises par toutes les confédérations villageoises kabyles, respectées et harmonieusement intégrées par leur société, furent uniquement celles qui étaient conformes à l’esprit et à la lettre des Kanouns séculiers (l’Azref, le Droit coutumier, proto-constitution), souverainement établis par Tajmayt (l’Assemblée du village). Dès lors que son droit coutumier lui donnait entièrement satisfaction, Tajmayt continuait résolument à méconnaitre toutes les autres dispositions et exigences juridiques du Coran, car jugées incompatibles avec leurs Kanouns.

4.2. Le laïcisme, valeur ancestrale du peuple kabyle

Devant une telle opposition aussi catégorique, la loi coranique (Charia) se trouva donc impuissante à s’implanter dans la cité kabyle. Le caractère théocratique de la législation musulmane ne pouvait alors s’allier avec l’esprit essentiellement républicain et laïc du peuple kabyle. Les grands bouleversements induits par l’arrivée violente de l’islam en Tamazgha n’avaient pas pu affecter profondément la Kabylie et ce principe séculier. La loi foncièrement laïque du peuple kabyle ne toléra, dès le début, aucun empiétement sur son domaine social et politique. Ainsi, ni le régime féodal, ni le régime théocratique auxquels les Turcs essayèrent, à partir du XIe Siècle, de les soumettre, par l’influence de quelques personnages religieux, ne purent supplanter définitivement les coutumes et traditions kabyles antiques [1]. Bien plus, les confédérations villageoises kabyles, basées sur l’esprit républicain et démocratique et sur leur amour irréfragable de la liberté, ont su préserver l’essentiel de leurs traditions et leur culture, survivre aux dures et longues périodes d’agitation et d’anarchie qui secouaient régulièrement le reste de l’Afrique du Nord. Armé d’un esprit réfractaire à toute sujétion étrangère, voulant toujours jouir du maximum de sa liberté, animé par son génie et sa volonté de fer, le Kabyle a toujours défendu résolument le régime républicain légué par ses ancêtres. Les influences d’essence autocratique ou théocratique qui purent se constater par certaines périodes dans la vie sociale des Kabyles ne sont que des compromis stratégiques de survie, des accidents dont l’histoire n’ignore pas les raisons et les origines.

Pour conclure ce bref survol de l’histoire, nous devons rappeler également un fait beaucoup plus récent qui remonte seulement aux premières élections pluralistes de l’Algérie postindépendance, en juin 1990, plus précisément. En effet, la spécificité sociopolitique laïque de la Kabylie fut mise en évidence d’une manière éclatante que nul ne peut raisonnablement contester. Alors que le principal parti islamiste algérien de l’époque prônant avec véhémence l’instauration d’une République théocratique islamique en Algérie, triomphait magistralement sur tout le territoire algérien, en Kabylie, le peuple Kabyle s’est prononcé nettement contre lui, en votant pour le seul parti politique en lice qui prônait résolument le projet républicain, démocratique et laïc. Cela s’était répété aux législatives de décembre 1991. Quel meilleur argument que celui-ci pourrait-on opposer à ceux qui continuent de nier absurdement la spécificité sociopolitique, le fait religieux et le laïcisme de la Kabylie au sein de ce vaste ensemble algérien ? En vérité, l’unique explication pertinente de ce comportement vient du fait qu’en s’islamisant, tout en sauvegardant sa langue ancestrale, le Kabyle n’a pris de l’islam que ce qui est conforme à l’esprit laïc et républicain de ses lois et de ses traditions socioculturelles séculières. Ce faisant, on peut dire que le Kabyle s’est majoritairement islamisé sans rien renier de lui-même.

4.3. L’irruption de l’islam politique dans l’ensemble algérien

Examinons maintenant les menaces récurrentes d’agression qui planent sur la spécificité sociopolitique et culturelle de la Kabylie, résultant notamment de l’ingérence de la religion dans le champ politique. Soutenue et encouragée par les structures institutionnelles du pouvoir central, la religion est instrumentalisée au service de la politique. L’origine de la crise algérienne de ces trente dernières années est justement le fait de l’irruption de l’intégrisme islamiste sur la scène politique. Pourtant, il est bien connu que le fanatisme et le fondamentalisme, de quelque religion qu’ils soient, ne conduisent qu’à des résultats négatifs. Les tyrannies religieuses du Moyen-âge ne menèrent les peuples, en Europe ou en Afrique du Nord, qu’à la barbarie dont les effets ont été néfastes au progrès et à la civilisation du genre humain. Le fondamentalisme et le fanatisme sont pour ainsi dire des pathologies religieuses aux effets dévastateurs. Ils conduisent le peuple qui en est atteint à sa déchéance et à l’avilissement de ses valeurs de liberté, de justice, de tolérance, de création…. Nous en savons quelque chose en Algérie à la fin de ce 20e siècle ! Il est bon de diagnostiquer ici brièvement l’origine de ce mal.

4.4. Pourquoi la Kabylie est-elle demeurée à l’abri de cette pandémie dévastatrice ?

En effet, nous devons souligner que cette dangereuse pathologie qu’est l’islam politique hégémonique en Algérie, même promu par les structures de l’État-Nation, ne s’est pas encore répandue en milieu kabyle. Cependant, s’il venait à s’y implanter il menacerait dangereusement la cohésion et la paix sociales du peuple kabyle. Mohammed Arkoun, l’imminent islamologue kabyle de notoriété internationale, nous a suffisamment éclairés sur l’origine et la propagation de ce fléau [4]. En effet, le fondamentalisme religieux en général est basé sur un postulat archaïque selon lequel toute forme de connaissance scientifique qui introduit un regard purement historique, sociologique, linguistique, anthropologique et critique sur la croyance orthodoxe et les rites qui l’expriment doit être à priori écartée. Il refuse dès lors de s’interroger. On devine alors ce que devient toute religion quand elle renonce aux exigences intellectuelles et scientifiques de la raison. Les dérives fanatiques dont on parlait ci-dessus aliènent profondément les rapports qu’entretient le citoyen avec lui-même déjà. En Algérie, l’intégrisme religieux nourrit les violences politiques après avoir poussé à la disparition des codes socioculturels traditionnels assimilés dès l’enfance, dans le cadre des cultures orales. Ces codes ont été remplacés par des dogmes nouveaux, soit par l’école publique pervertie (expurgée de sa mission d’éducation, du sens civique et de l’esprit critique) soit par la mosquée (dévoyée de sa mission spirituelle pure). Libre cours fut donné à un prosélytisme débridé et à la diffusion d’un islam caricatural, outrancier, réduit à des expressions rituelles, à des formules sans lien avec son patrimoine intellectuel, culturel, moral et spirituel. C’est donc un islam badigeonné de toutes les perversions qu’on tient soigneusement à l’écart de tous les acquis émancipateurs, pourtant incontournables et vivificateurs, de la modernité. La Kabylie fut épargnée de ce fléau du fait que ses mosquées, même avec des imams spécialement nommés pour la contaminer et la gangréner, sont encore gérées selon la tradition respectant le code kabyle ancestral. À cet égard, la comparaison avec le parcours du christianisme en Occident face à la modernité, le pendant de la Renaissance, et aux révolutions scientifiques du « Siècle des Lumières » est très instructive. Ainsi, l’islam en Algérie, en tant que profession de foi avant tout, se trouve depuis l’indépendance pris en otage à l’intérieur même des structures de l’État. Pouvoir et opposition refusent toujours de suivre l’exemple de l’Église qui garde le monopole de l’autorité morale et spirituelle sur la société sans pour autant s’exposer, comme elle l’avait fait pendant de longs siècles du Moyen-âge, aux compromissions et aux errances qui sont le propre de tout pouvoir temporel. C’est cela le concept du laïcisme kabyle dont il est fait référence précédemment, que vous l’appeliez autrement ne change rien à la nature de ce fait religieux.

4.5. La Kabylie s’oppose farouchement à l’Islam politique

Voyons, en revanche, ce qui se passe dans un pays comme l’Iran, auquel aime souvent s’identifier l’Algérie officielle. La Révolution « islamique » de Khomeiny a opté pour l’histoire à rebours de celle ouverte par les Révolutions anglaise, américaine et française. Cette inversion des temporalités historiques par la pire violence politique au nom d’une religion a plongé le monde actuel dans des guerres absurdes et sans issue visible favorable à la condition humaine. C’est là une voie que la société kabyle refuse obstinément d’emprunter. À cet égard, la Kabylie a constamment refusé cette impasse historique où prédomine la violence idéologique sur une base religieuse (voyez l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Algérie, etc.). Bien plus ! De tout temps, la Kabylie s’est opposée à l’étatisation de la religion. L’islam soumis à une surenchère meurtrière n’est qu’un bricolage idéologique. En ayant pour base l’antikabylisme, il a généré l’union sacrée de l’État algérien avec des catégories sociales aliénées, il s’est lancé dans des guerres d’une autre époque. L’effondrement de l’idéologie prolétarienne a réactivé parmi les partisans de l’islam politique l’espoir d’un nouveau Califat mondial. Ils font leurs les promesses de l’eschatologie classique, mais en la vidant de la foi à laquelle ils substituent, par des récits aussi faux que brouillons, des fantasmes idéologiques. Ceux-ci sont injectés dans de frêles cerveaux d’innocents écoliers à travers l’école et la télévision. Ils sont aussi nous retrouvons dans les sermons hebdomadaires des mosquées, toutes contrôlées justement par le Parti-Etat-Nation (Pouvoir et opposition confondus). Ces discours de la haine du Juif et du chrétien auxquels est assimilé le Kabyle, sont aussi relayés dans les conversations courantes, dans les discours « élitistes », dans la littérature de bas étage et jusque dans les cassettes charlatanesques vendues à même les trottoirs… Le Parti-État-Nation qui avait exercé le monopole du contrôle sur l’islam comme « combustible politique fécond », quelque peu dépassé sur le terrain de la légitimité par les leaders islamistes qu’il a lui-même fabriqués et crédibilisés, est désormais contraint de se livrer lui aussi à la surenchère islamiste et au racisme antikabyle. Le résultat en est que, dans le dos du peuple kabyle devenu l’adversaire commun, les couteaux sont en train de s’aiguiser.

4.6. L’affirmation du laïcisme ne peut se faire que dans le cadre d’une Kabylie autonome

Que pouvons-nous en conclure ? Si nous sommes aujourd’hui déterminés à revendiquer l’autonomie de la Kabylie, plus que nous ne l’avions fait naguère, c’est surtout par souci de prémunition non seulement de la Kabylie, mais de l’ensemble de Tamazgha de ces effets pervers que suscite ce fléau ravageur. Il s’agit avant tout de préserver notre Kabylie ancestrale de cette fatale pandémie fanatique qui semble atteindre tous les états musulmans. L’islamisme dont nous devons nous prémunir risque de nous emporter les uns après les autres vers la déliquescence à travers un processus inexorable d’extinction. La Kabylie est trop chère pour que nous consentions à la laisser à la merci de l’impéritie et l’incurie d’un pouvoir central corrompu jusqu’à la moelle et faisant table rase de tous les idéaux de patriotisme avec une ahurissante irresponsabilité. Si donc l’histoire des religions nous conforte dans cette idée, elle ne nous en apprend pas moins par sa rationalité, son esprit critique et sa méthode discursive que la foi n’est pas toujours vérité absolue et qu’une croyance aveugle, coupée de sa raison, ne mène qu’à l’intolérance et au sectarisme. Ceux-ci sont des signes précurseurs de notre inéluctable décrépitude et de l’avilissement irrémédiable de notre pensée, moralement et intellectuellement. Ainsi, l’affirmation du laïcisme dans le cadre d’une Kabylie autonome apparaît comme une exigence historique. Ainsi, les facultés de l’esprit – raison, imagination, imaginal, imaginaire, mémoire personnelle et mémoire collective – demeurent toujours en éveil, vigilantes, accueillantes à toutes les données qui tissent le passé, le présent et le futur des hommes en société. Car la Kabylie compte faire prévaloir cette valeur ancestrale perçue comme hygiène de l’esprit. En ayant son autonomie, la Kabylie préservera ses droits, ses libertés et sa vocation à la connaissance sans cesse partagée, revisitée, soumise à confrontation, testée continuellement dans sa validité, car évolutive face aux épreuves du temps. À l’instar des idées, la spiritualité et la manière de la vivre doivent évoluer avec le temps. « Fides quaerens intellectum » (la foi en quête d’intelligence), répète l’adage théologique chrétien ; je rappelle cette formule pour souligner que, dans l’islam pris en otage par trop d’extrémistes, il n’y a ni théologie, ni philosophie ou toute autre éthique de la connaissance nécessaire dans toute pratique responsable des sciences de l’homme et de la société. Un peuple aliéné, car infecté par le virus du fondamentalisme, se retrouve irrémédiablement condamné à l’atrophie qui l’empêche de se développer et de s’épanouir. Un peuple animé par cette maladie intégriste ne pourrait survivre longtemps et sa dégénérescence devient inéluctable. Il faut en prémunir le peuple kabyle !

Aujourd’hui, après avoir héroïquement libéré l’Algérie de la domination et du joug colonial français, étant dotée de qualités et de richesses humaines parmi les plus remarquables, la Kabylie ne peut plus vivre entravée, assujettie à cette humiliation d’un autre âge. En effet, pour reconquérir son indépendance, elle s’employait à toujours aller par des voies difficiles, des sentiers sans issue. Elle est à ce jour en quête de sa liberté perdue en cette année fatidique de 1871, l’année de la révolte (aseggwas n tnekkra). Ce faisant, privée de son autorité, elle n’a fait que reproduire les mêmes erreurs, les mêmes tragédies avec leur lot d’infortunes et de désillusions. La répression à laquelle elle s’expose depuis 1962 est toujours suspendue comme une épée de Damoclès au dessus de sa tête. Ce pouvoir ne manquera pas de lui rendre la vie encore plus laborieuse, plus pénible qu’elle ne l’a jamais été ! Alors, basta ! De cette vie de déchéance, de prison à ciel ouvert, la Kabylie n’en veut plus ! À chaque fois, elle frôle de justesse son extinction, sa dissolution irréversible dans une nébuleuse arabo-islamiste. Les apothicaires-apprentis-sorciers de ce pouvoir charlatan et intégriste, inculte et méprisant les réalités socioculturelles kabyles, ne cessent de s’évertuer à synthétiser une forme de « lotion magique » pour dissoudre la Kabylie !

Aujourd’hui, la nécessité de survie de la Kabylie nous interpelle plus que jamais. Nous ne voulons plus sombrer dans les limbes de l’histoire moyenâgeuse, à cause de l’impéritie du pouvoir central. Nous sommes mis en demeure de se réapproprier nos valeurs ancestrales protectrices d notre tissu social, restaurer et reconquérir plus d’espace, mais surtout plus de liberté, notre unique sève nourricière. À l’aube de ce troisième millénaire, prenons les devants. Un ennemi d’un genre nouveau, la mondialisation, est au seuil de nos foyers, dans les villages les plus reculés aux confins de nos montagnes. Cette adversité galopante charrie dans son sillage la menace grandissante de notre désintégration. Si nous n’y prenons garde, si nous ne nous donnons pas les moyens appropriés et les instruments efficaces pour nous en prémunir, elle ne fera de nous qu’une bouchée. L’heure est grave !

5. L’autonomie de la Kabylie est une nécessité historique pour un nouveau départ

5.1. L’Autonomie de la Kabylie est incontournable

Nous voyons alors qu’après un examen minutieux de la question relative à l’entité kabyle, du point de vue politique, identitaire, sociologique, religieux, culturel et géostratégique, tous les arguments invoqués plaident d’une manière incontournable pour la nécessité de l’instauration en Kabylie d’un État régional doté d’une large autonomie et rattaché à l’ensemble algérien, son milieu naturel. Les valeureux fils de Kabylie doivent se sentir tous interpellés pour la concrétisation de cet objectif sur le terrain. Ils sont sommés par l’Histoire de riposter efficacement, dans l’unité des rangs, comme un seul homme. Les Kabyles devraient donner libre cours à toute leur intelligence, en multipliant leurs activités régénératrices et vivifiantes dans tous les domaines de la civilisation contemporaine. Et qu’importe si d’aucuns, au sein même de l’ensemble algérien, par esprit d’égoïsme ou de jalousie bien étroit, trouvent déjà notre entreprise trop ambitieuse, débordant les limites qu’ils lui auraient arbitrairement fixées. Car, ce faisant, et à coup sûr, les fils de la Kabylie ne manqueront pas demain de se faire vite distinguer dans le concert des nations. Ainsi, l’activité et le renouveau kabyles susciteront la juste reconnaissance qui leur fait défaut, particulièrement dans le bassin méditerranéen, eu égard à leur précieuse et incontestable contribution au progrès de l’occident dont désormais ils sont partie intégrante. En effet, la dimension méditerranéenne par excellence du peuple kabyle devra être soulignée et affermie davantage. Car la société kabyle est, pour le sociologue Pierre Bourdieu, un véritable conservatoire de l’inconscient méditerranéen et sa tradition culturelle constitue « une réalisation paradigmatique de la tradition méditerranéenne ». Son histoire est imbriquée avec celles des peuples méditerranéens. Sa culture et sa langue portent les influences de plusieurs cultures, phénicienne, latine, grecque, arabe, française… L’inverse est également vrai. Le peuple kabyle doit naturellement s’inscrire dans toutes les dynamiques méditerranéennes et entretenir une relation privilégiée avec les peuples de la Méditerranée, creuset des grandes civilisations que compte l’humanité.

Cependant, cela relève même d’une loi dans l’évolution de l’être humain, le labeur et l’intelligence sont les seules conditions essentielles à tout homme qui aspire à l’émancipation, au bien-être et au progrès. Admirablement doué par la nature, le Kabyle, comme tous les êtres humains, a le droit et le devoir de chercher à perfectionner sa vie culturelle, économique et politique, de faire en sorte que tous ses efforts tendent vers la réalisation de son idéal civilisationnel ancré dans son patrimoine ancestral. Aujourd’hui, comme autrefois, les bienfaits et les acquis de la modernité, à l’accomplissement desquels il a cependant pris une part active, en Algérie ou sous divers cieux à travers le monde, ne laissent guère insensible sa patrie : La Kabylie. Engagée résolument et audacieusement dans cette voie de l’abolition du centralisme jacobin de l’État, relique du colonialisme français, la Kabylie est plus que jamais déterminée à affronter son destin. Elle doit se consacrer entièrement à la promotion de son indépendance socioculturelle et à la construction de sa propre économie moderne. Elle ne doit plus compter sur l’économie rentière du pouvoir central. Celle-ci est non seulement évanescente, mais pernicieuse. En effet, la Kabylie, consciente de la force et de l’envergure de ses ailes, avide d’espace et de liberté, peut en toute sécurité quitter la cage dans laquelle on a de tout temps cherché à l’enfermer comme une bête féroce, en voie d’extinction, bien que trop exiguë pour la contenir. Elle a à s’envoler de ses propres ailes vers des horizons de liberté. Cette alternative bienfaitrice pour elle-même n’est pas incompatible avec l’ensemble algérien auquel elle pourra demeurer loyale, et solidaire comme ce fut le cas durant bien des épreuves à travers les tourments et les caprices de l’Histoire.

5.2. Objectifs à moyens terme pour un nouveau départ :

Voici, pour les Kabyles, quelques objectifs atteindre dans le moyen terme :

1- Se reconstruire en tant que nation porteuse de ce qui leur est spécifique : langue, institutions, histoire, coutumes et valeurs, mythes…

2- Se recentrer sur ce qui leur est propre, en prônant les valeurs positives comme la démocratie directe et participative de Tajmayt (Assemblée villageoise), l’autonomie comme mode d’organisation, la solidarité, l’égalité, la bonne gouvernance, le respect des lois et la dignité humaine, et en s’ouvrant sur certaines valeurs actuelles, nécessaires pour avancer avec toute l’humanité acquise au progrès, en trouvant de justes mesures pour intégrer les femmes, la jeunesse. Les notions de libertés individuelles seront les conditions de leur pérennité.

3- Créer de nouveaux espaces politiques culturels, économiques, sur leur propre territoire, devrait se conjuguer avec la recherche de collaboration avec d’autres ensembles ou parties de l’Algérie et du monde, méditerranéen notamment.

Ce n’est pas un repli sur nous-mêmes que nous recherchons, bien au contraire. Les individus comme les peuples fragilisés ont tous besoin, ponctuellement, de retrouver leurs repères pour se restructurer et reconstituer leurs forces. Toutefois, une fois cette étape franchie, nous pourrons avoir assez de capacités pour nous ouvrir sur les autres et nous enrichir à leur contact, sans risque de nous désintégrer.

En retrouvant leur personnalité, les Kabyles reconstitueront les liens et le ciment de leur communauté et pourront parler enfin en termes de droits et de destin collectif avec les autres.

Par conséquent, c’est parce qu’elle est mue par son charisme d’avant-garde nord-africaine, de matrice génitrice de modernité et de progrès, que la Kabylie prône aujourd’hui résolument son autonomie régionale. La Kabylie, de l’Étoile nord-africaine d’Amar Imache et ses camarades jusqu’à nos jours, s’est de tout temps distinguée par son atavisme et son attachement invétéré à la générosité et la solidarité à l’égard des autres composantes nord-africaines. Elle entend toujours respecter scrupuleusement la dignité des autres dans le respect de chacun à sa souveraine autodétermination à choisir librement le destin qu’il estime être approprié à sa société, sans pour autant que ce choix ne vienne s’imposer arbitrairement au peuple kabyle. La Kabylie est libre de définir de son coté souverainement les nouvelles perspectives qui lui paraissent historiquement viables et cohérentes avec ses caractères identitaires et civilisationnels (langue, histoire, institutions, valeurs, culture, coutumes et mythes…) afin de façonner elle-même son devenir pour être pleinement maitresse de son destin. Cette démarche sera à même de lui garantir son plein essor, tout comme celui de l’ensemble nord-africain. Car la Kabylie a de tout temps été (et elle le demeurera toujours) ouverte à l’amitié, à l’hospitalité et à la solidarité avec les peuples. En effet, son amour inné pour la liberté, ses luttes constantes et immémoriales pour l’indépendance, la défense et la sauvegarde de la dignité humaine, ses compétences et ses aptitudes travail, son amour pour l’ordre, ses qualités faites de loyauté, de prévoyances et d’organisation, son tissu social solidaire… permettent de lui prédire, dans cette voie d’émancipation, une évolution à une vitesse vertigineuse et la certitude chevillée d’un avenir brillant au sein du bassin méditerranéen. Pour peu que son peuple consente aux sacrifices qui lui sont demandés en ce domaine et fasse résolument sienne cette ancestrale ambition de vivre en peuple libre épris de paix et de solidarité avec son environnement géographique et politique. Cependant, souvenons-nous en : L’autonomie ne se demande pas, ne se revendique pas et ne se décrète pas : Elle se construit avec détermination, patience et persévérance, abnégation et conviction. Ce à quoi nous nous attelons résolument.

Il s’agira alors d’un nouveau départ que tous les Kabyles patriotes espèrent et attendent. Celui-ci ne manquera pas d’ouvrir de nouvelles perspectives, ô combien attrayantes pour cette autonomie d’où, le moindre doute, viendra le salut de la Kabylie et de ses enfants. Car, en définitive, c’est à partir de ce concept que nous pourrons vraiment envisager de bâtir une démocratie authentique et durable autour de nous.

Par Dahmen At Ali
dahmen_at_ali@hotmail.it

Références et notes :

1. Si Amar Boulifa, « LE DJURDJURA à travers l’histoire, depuis l’Antiquité jusqu’en 1830, Organisation et in dépendance des Zouaoua (Grande Kabylie) », Alger, J. Bringau, 1925.

2. Hamdan ben Othman Khodja, « L’Aperçu historique et statistique de la Régence d’Alger : Le Miroir », publié à Paris, en octobre 1833, directement en langue française. Il a été réédité à Paris par les éditions Sinbad en 1985. Son auteur, Hamdan ben Othman Khodja, un Kouloughli (fils d’un Turc et d’une autochtone, est un notable de la Régence d’Alger, riche propriétaire terrien et négociant, proche de l’entourage du Dey. Les fausses allégations que comporta cet ouvrage, qui ont été par ailleurs réfutées par le Maréchal Clauzel, nous édifient à plus d’un titre sur la prévarication outrancière et la décrépitude du pouvoir des corsaires d’Alger.

En effet, une lecture sereine et objective de cet ouvrage historique, et surtout du récit qui en est fait par l’auteur est révélateur à plus d’un titre de la profondeur du gouffre qui sépare les préoccupations réelles des derniers gouverneurs Turcs de la Régence d’Alger des aspirations patriotiques sincères et loyales du peuple kabyle.

À travers ses pages, une brève lecture vous donne vraiment froid dans le dos et vous édifie sur l’innommable mépris et la condescendance outrageuse réservée aux Kabyles par ces envahisseurs étrangers, combien mêmes musulmans de confession. Nous saurons à travers ce témoignage incontestable, écrit par une personnalité éminemment influente du pouvoir des Deys d’Alger, qu’au cours des pourparlers de négociation de la capitulation, les gouverneurs turcs étaient en fait occupés à sauver bassement leurs biens matériels, leurs intérêts personnels et quelques dividendes à travers leur collaboration avec les nouveaux Maîtres d’Alger.

On découvrira avec effroi qu’ils furent empêtrés dans une obséquieuse mesquinerie la plus dégradante et la plus vile, plutôt que de se préoccuper du sort des malheureuses populations autochtones opprimées et rackettées pendant plus de trois siècles. Ils ne feignirent encore moins d’invoquer ou de tenter de faire prévaloir une quelconque justice internationale ou souveraineté imprescriptible sur ce qu’ils considéraient dans leurs écrits être « leur peuple », professant pourtant la même religion qu’eux et qu’ils sont soi-disant censés administrer et protéger !

Malgré tous ces témoignages accablants, l’histoire officielle de l’État Algérien indépendant nous a imposé ce sinistre corrompu Hamdan Khodja, auteur de cette « précieuse pièce à conviction », comme, tenez-vous bien, « Le premier militant nationaliste algérien » !

Quelle audacieuse supercherie ! Vu le patriotisme pernicieux et hypocrite de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui, il y a lieu de méditer vraiment sur notre devenir.

3. Réfutation de l’ouvrage d’Hamdan Khodja : « Aperçu historique et statistique de la Régence d’Alger », rédigée et publiée par l’entourage du maréchal Clauzel dans l’Observateur des Tribunaux français et étrangers, juin 1834.

4. Mohammed Arkoun, « Religion et laïcité : Une approche laïque de l’islam », L’Arbrelle, Centre Thomas More, 1989 ;

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