« Le pouvoir islamo-arabiste lutte ouvertement pour une arabisation totale de la société »

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KABYLIE (Tamurt) – Rachid Oulebsir, écrivain penseur et éditeur kabyle, parcours la Kabylie pour la sensibilisation à la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel Kabyle. Il a accordé un entretien à Tamurt.info où il revient sur son dernier roman et sa maison d’Edition ainsi que la situation du livre en général. Entretien.

Tamurt.info : Qu’est-ce qui vous a poussé à la création de votre maison d’édition ? Quelles sont les ambitions de votre projet ?

R. Oulebsir: La motivation première est de nature égoïste ! Publier mes propres romans, mes essais et mes recueils sans essuyer l’attente et parfois le refus des éditeurs qui ont chacun ses délais , sa ligne éditoriale , et ses intérêts commerciaux. Pour couper court à cette terrible attente corrosive, j’ai décidé d’ouvrir ma propre maison. La seconde motivation est d’ordre militant. La création intellectuelle est si pauvre chez nous qu’être éditeur relève réellement d’un acte de militance ordinaire indispensable pour semer l’esprit scientifique , le goût de l’art , la modernité et l’universalité ! Editer de nos jours, alors que les librairies ferment les unes après les autres pour laisser place aux gargotes, relève de la lutte contre la clochardisation de la société, les archaïsmes, l’esprit religieux mortifère et liberticide !

Tamazight a besoin plus que jamais de soutien militant et l’édition est un moment obligatoire pour passer de l’oral à l’écrit ! De nombreux créateurs de littérature dans la langue maternelle ne trouvent pas d’éditeurs. Je mets donc à la disposition de tout ce beau monde un instrument pour faire connaitre leurs productions, l’exigence de qualité étant incontournable ! Une troisième raison consiste dans la sauvegarde du patrimoine immatériel Kabyle dans toutes ses dimensions. Il nous faut absolument orienter l’écriture vers des essais sur notre histoire , notre mémoire , notre imaginaire , notre cosmogonie … et faire la lumière sur notre passé notamment tout le moyen âge marqué par des productions intellectuelles en langue arabe ! Il faudra dépoussiérer tout ça et mettre entre les mains des universitaires des outils de recherche pour qu’ils écrivent notre grande histoire.

Tamurt.info : Est-il facile de monter une maison d’édition favorable à Tamazight et à l’universalité en Algérie

R. Oulebsir: Il est difficile aujourd’hui en Algérie, pays dominé par un pouvoir rentier, commerçant, lié au capital international,   d’être un créateur de richesse intellectuelle ou matérielle ! La culture est le dernier souci de l’Etat ! Aussi ouvrir une maison d’édition , ou bien une gargote , on est soumis au même itinéraire , avec en plus pour l’éditeur, des autorisations multiples qui relèvent plus de l’obstacle , de la dissuasion que d’un souci de légalité ! Pour monter une maison d’édition vous avez plusieurs haltes incontournables ! La première est l’office national des droits d’auteur (ONDA), la seconde est le centre national du registre de commerce ( CNRC), la troisième est le Notaire , la quatrième la location d’un local , la cinquième les Impôts ; la sixième les assurances, la septième la Banque et la dernière la Bibliothèque nationale …sans oublier les multiples va et vient entre ces multiples centres de l’administration qui vous renvoient à la mairie pour les légalisations  ! A chaque  jalon vous devez   déposer une dizaine de papiers, payer et attendre les réponses adéquates et les documents vous autorisant à exercer ! Un véritable parcours du combattant duquel vous sortez éreintés avant de commencer le travail. Je viens d’apprendre qu’un éditeur d’Alger spécialisé dans la Poésie vient de mettre la clé sous le paillasson ! C’est dramatique un éditeur qui ferme ! ou bien vous acceptez de travailler pour le consortium des libraires et de vous soumettre aux subventions conditionnées de l’Etat ou bien vous vous débrouillez   pour porter vous-même votre ouvrage   au lecteurs ! Sinon vous fermez boutique avant d’ouvrir !

Tamurt.info : D’où vient le nom de votre maison d’édition ?

R. Oulebsir: Mon édition porte le nom d’AFRIWEN , pluriel d’Ifer, l’aile de l’oiseau, symbole de voyage , d’évasion, de liberté, Emblème de domination du temps et de l’espace : Voler de ses propres ailes ,dominer la terre à partir du ciel , a été le rêve de l’homme depuis qu’il s’est mis debout ! «  Ifer » c’est également la feuille sur laquelle on écrit. Afri renvoie aussi à notre dimension identitaire Africaine…

Ce nom m’a été choisi par mes nombreux amis de Facebook ! J’ai lancé l’idée de créer une maison d’édition demandant aux amis sur ce réseau social de me proposer un nom en rapport aux symboles Kabyles (l’abeille, l’étourneau, l’olivier). Parmi les propositions nombreuses telle Anzar, Amnar, Taddart…il ya eu Afriwen ! Je pense si ma mémoire est bonne que c’est l’Artiste plasticien specialisé dans la calligraphie Tifinaghe,  Smail Metmati qui m’a suggéré ce lexème Afriwen.

Tamurt.info – De la foultitude des œuvres qui paraissent qu’est ce qui identifiera vos livres ?

R.Oulebsir : Sur le plan formel ,ma charte graphique est illustrée par un logo où un étourneau avec des ailes déployées , tient dans son bec le ZED Amazigh ! Sur le plan du fond, j’ouvre trois collections pour le démarrage ! La première   dénommée   «  Lettres françaises de Méditerranée »   est réservée à la littérature d’expression française. C’est un peu l’exutoire des derniers francophones, les derniers élèves de  «  l’Ecole Feraouniène », tous ces kabyles qui expriment joliment leur kabylité dans la langue de Voltaire.

La seconde collection du nom de « Patrimoine –Tigemi » portera le patrimoine immatériel  et la mémoire villageoise ! Elle se traduira par la production de monographies villageoises portant toutes les dimensions du patrimoine culturel immatériel (littérature orale, langue, savoir-faire, rites festifs et mythes cosmogoniques, pratiques socio-économiques et savoirs de l’artisanat traditionnel…). Pour ce volet, les trois langues usitées en Algérie sont acceptées par la maison d’édition.

Une troisième collection du nom de « Tasekla » sera ouverte  pour Tamazight dans ses expressions littéraires modernes pour encourager notamment la traduction des œuvres universelles vers Tamazight et permettre aux jeunes auteurs de saisir la réalité qui les entoure dans leur langue maternelle.

Tamurt.info – Le monde de l’édition est mondialement en crise, que pensez-vous de la production littéraire kabyle ?

R.Oulebsir  : C’est le monde de la lecture qui est en crise. La production d’un livre est un long itinéraire où l’auteur qui crée et l’éditeur qui réalise concrètement l’ouvrage ne sont que de simples segments de la longue chaine qui mène au lecteur, dominée par la logique mercantile. Les principaux handicaps peuvent être de nature financière, de nature liée à environnement culturel défavorable, à la censure, l’autocensure, l’absence de médiatisation et de promotion. En Algérie fondamentalement c’est l’école moyenâgeuse qui gomme l’amour de la lecture. Le pouvoir islamo-arabiste algérien qui squatte l’Etat et tous les moyens de la nation, lutte ouvertement pour une arabisation totale de la société et une disparition programmée des langues natales !

N’oublions pas que nous sommes dans une société à culture fondamentalement orale et que le reflexe de lire est propre à une élite. Et vous savez ce qu’est devenue   notre élite intellectuelle réprimée, exilée, disqualifiée. Il faudra penser le livre sur l’espace continental voire mondial. Spécialement le livre Amazigh qui a autant de lecteurs-soutiens dans la diaspora que dans les régions d’origine.

La production littéraire kabyle se fait principalement en langue française et accessoirement en Tamazight. Elle est en fin de cycle pour les francophones et en début de cycle pour les kabylophones. Ce passage de témoin est un temps très intéressant , il faudra sans doute aider à cette traversée, en créant le plus d’espaces de parole possible et alimenter la construction des espaces d’autonomie citoyenne en travaillant sur la fierté d’appartenir à la civilisation amazighe . La littérature kabyle devra de nos jours être orientée vers la sauvegarde du fond commun de l’oralité et la revalorisation de la kabylité ( Taqvaylit) , dans ses valeurs , ses repères , ses dimensions universelles.

Tamurt.info – Parlez-nous de votre roman «Algérie, Le printemps reporté» et de l’accueil qui lui est réservé.

R.Oulebsir : Le roman « Algérie, le printemps reporté » est très bien accueilli par le lectorat ! Il est disponible dans tous les bourgs de Kabylie et à Alger. Il faudra souligner que c’est un ouvrage villageois, entièrement réalisée à Tazmalt, pour dire que dans un petit village on peut faire de grandes choses ! L’auteur, l’éditeur, l’infographe, le maquettiste et l’imprimeur sont localisés à Tazmalt. Je remercie au passage le calligraphe amazighe Smail Metmati pour la belle toile qui orne la couverture de mon roman, que l’infographe Sonia Bahloul a réalisée de main d’artiste. Le jeune Imprimeur Yacine Sadouni de lance dans le roman pour la première fois : coup d’essai et coup de maître !

Le roman est une fiction qui s’appuie sur des éléments historiques liés à l’histoire récente du pays qui a totalement raté son indépendance. C’est l’histoire d’un peuple qui n’a jamais connu le printemps attendu ! Les nouveaux dirigeants autoproclamés décident chaque année de le reporter aux calendes grecques ! C’est également le procès des intellectuels qui se sont laissé corrompre, de l’élite achetée ou   endormie par les tenants du pouvoir qui ont en faits leurs alliés objectifs contre les pulsations populaires.

Le roman se vend bien pour le moment même si les medias en parlent peu.

Tamurt – Quels sont vos projets à court et moyen termes ?

R.Oulebsir : A court terme, le fait de m’installer à Tazmalt , donc dans un village , renvoie au souci de créer un espace culturel de plus à disposition des artistes , des écrivains et des intellectuels en général ! Un café littéraire sera organisé par Afriwen à la sortie de chaque ouvrage. A moyen terme, j’aimerai susciter des vocations d’écriture, dans la sauvegarde et la transmission de notre langue maternelle. User de la langue française comme béquille provisoire   pour asseoir l’irréversibilité des caractères latins et faciliter le lien de notre langue à l’universalité. Il faudra que l’écriture en Amazighe devienne une chose ordinaire, normale, comme il en est de l’arabe. A long terme, je vise une intégration de l’activité d’édition avec le segment d’imprimerie et celui de distribution. Je croie que l’union de tous les éditeurs en Tamazight notamment dans la distribution et la promotion des oeuvres leur donnera une force certaine.

Je n’ai pas l’ambition de m’enrichir avec une maison d’édition ! Mais la réalité économique s’impose, pour que la maison puisse vivre, elle doit générer un revenu. Je suis conscient que la loi handicape l’auteur mais elle ne favorise pas non plus l’éditeur qui doit collaborer avec les imprimeurs en amont et les distributeurs et les libraires en aval. Le produit de l’auteur est souvent absorbé par toute cette chaine ! Il faut savoir que la loi algérienne donne la part du lion aux commerçants ! Le libraire prend 30% du prix de vente et le distributeur   26 % ! Les deux commerçants prennent donc plus de la moitié du prix de vente du livre ! Il restera 44% pour les impôts et les créateurs, (Auteur, correcteur, concepteur, Editeur, Infographe, imprimeur, promoteur-média, journaliste …).

Il faudra sans doute que le législateur   revoie ce primat du commerçant sur le créateur et repenser le rapport de l’auteur avec toute cette chaine de professionnels ! Pour le moment il appartient à l’éditeur de trouver les formules qui impliqueront l’auteur  dans la promotion et la distribution de son ouvrage   avec une marge plus conséquente que les 10% prévu dans le contrat d’édition type .

Pour mes futurs produits, je travaille sur trois monographies qui me sont envoyées par des auteurs villageois. Je reprends en coédition avec Tira Editions   le roman « Les derniers kabyles » qui a été édité en 2009 et 2012. Je sortirai un Essai en Tamazight sur la paysannerie du Djurdjura et ses façons culturales et ses expressions culturelles. Je travaille également sur l’enfance   kabyle durant la guerre d’indépendance avec un recueil de récits récupérés auprès d’adultes qui ont été enfants du village de regroupement de Tazmalt en 1959-1960. Je Lance parallèlement un essai sur la mythologie amazighe écrit par un universitaire de Bejaia. Je compte   créer une revue trimestrielle de poésie bilingue Amazighe –Français et une collection de contes pour enfants !

Mais ce qui me tient à cœur c’est la sauvegarde de la mémoire villageoise ! Je voudrai susciter des vocations d’écriture pour créer le matériau qui nous manque à l’écriture de notre propre histoire par nous-mêmes. Je mets à disposition de tout un chacun les moyens intellectuels de ma maison d’édition, correction, réécriture, méthodologie de conduite d’une enquête de terrain, techniques de rédaction journalistiques, réalisation d’une monographie … Mon mail est le suivant :   afriwenedition@gmail.com.

Propos recueillis par Youcef Oudjedi.info

Rachid oulebsir

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